Un parcours, un dispositif
Respectueux des vestiges, un itinéraire de visite (qu'on n’est pas contraint de suivre) développe un sens de lecture particulier, appuyé entre autres sur des points de vue et des séquences séparés, qui s'enchaînent et s'articulent par des jeux de correspondances ou de rappels. Ceci est à mettre en rapport avec l'« art de la mémoire », technique ancienne qui constituait une partie de la rhétorique et de la dialectique permettant à un orateur de mémoriser rapidement un discours.
« L'Art de mémoire (Ars memoriae), appelé aussi méthode des loci ou méthode des lieux, est une méthode mnémotechnique pratiquée depuis l'Antiquité. Elle sert principalement à mémoriser de longues listes d'éléments ordonnés. Elle est basée sur le souvenir de lieux déjà bien connus, auxquels on associe par divers moyens les éléments nouveaux que l'on souhaite mémoriser. » (page wikipédia).
Pour ce qui concerne Cher Thésée, l'ensemble des propositions (chacune s'attribuant aussi bien un caractère autonome) édifie un discours, qui, apposé aux vestiges, tend à s'y associer en brouillant le moins possible la perception de leur état actuel. Chacune des propositions complète le site d'« images » dédiées : autour de chaque sculpture ou agencement la mémoire de cheminement est convoquée.
Les éléments présentés
L'arc (a)
bois, lamellé collé Cet élément est le point inaugural d'un parcours plastique à travers le site. L'arc cintré placé au niveau de la faille, à l'entrée de la grande salle, est une hypothèse censée restituer le dessin d'une porte disparue. Mais le linteau n'a pas été retenu pour garder une ligne simple de lisibilité sculpturale. On pourra observer plus loin que ce dessin spatial fait écho à un dispositif de propositions. Le respect dû à l'intégrité du site dans sa dimension historique domine le choix des formes et matériaux associés aux espaces.
Le revêtement du sol (b)
voile de protection de façade, piquets Nous ignorons l'aspect que devait avoir le sol de la grande salle. C'est une étendue que nous voulons souligner : un voile de ravalement de façade est tiré au sol. En recouvrant les plus de 500 m2 de l'aire enceinte, il est question d'en apprécier l'étendue par la tête et par les pieds. Le voile de protection de ravalement de façade rappelle, par l'entremise des murs du passé, notre époque contemporaine : constante de constructions et rénovations de bâtiments. Sous un autre angle, le coloriage intérieur d'un grand rectangle peut laisser supposer une aire abstraite (de ce point de vue, une relation de caractère avec f).
La table (c)
béton armé Par sa hauteur, la « table » ressemble à un élément de mobilier bas dont on n'interprète aucun usage puisque c'est évidemment une sculpture. Il s'agit d'une structure évidée en béton armé dont les proportions rappellent celles de la salle, comme s'il pouvait s'agir d'une maquette compliquée de modélisations internes, raccourcies ou exagérées. Une ligne arquée, penchée, se courbe vers un arc plus petit au bord opposé de la « table ». D'un arc à l'autre, par un regard, à travers elle et au milieu de la salle, la structure duplique la traversée du lieu réel : c'est une carte tridimensionnelle. Mais en outre, les proportions de meuble voudraient invoquer des usages révolus parmi ceux que recevait le bâtiment, qu'on ne connaît pas.
Les coutures murales (d)
corde polypropylène Il s'agit simplement d'un parcours de corde. Les coutures murales mettent à profit les trous de boulin tout en soulignant leur présence. Les murs de Tasciaca sont en effet traversés tout leur long et de part en part par ces trous régulièrement étalonnés qui servaient à fixer les échafaudages lors de la construction. Les trous de boulin sont un élément très remarquable sur le site, qui, associés aux agencements des pierres et aux lichens, apportent un contrepoint de détails à l'ampleur des volumes. La disposition en longueur de la corde fait par ailleurs un écho avec la proposition des « panières » (j).
La main (e)
béton armé, piquets d'acier Sur le sol couvert de la salle principale est fixée une dalle de béton moulé avec en son centre la représentation d'une main tenant un disque, une sphère ou un globe. Il était d'usage chez les Romains de représenter le pouvoir impérial par la détention d'un globe au creux de sa main par l'empereur ou par la divinité qui l'assiste. Ce type de représentation du pouvoir à perduré, en évoluant, dans les temps qui ont suivi l'Antiquité. À l'intérieur de la salle principale, l'observateur peut la dominer de toute sa personne, mais la dalle est aussi visible depuis l'extérieur, à une hauteur de table, au travers d'une grande faille en éclair qui était aussi un accès au bâtiment. Selon le point de vue, la surface, lisse, reflète les effets de l'atmosphère.
La structure (f)
tasseaux, cordelette polypropylène Trois hexagones tracés par des tasseaux sont reliés entre eux par une autre série de traits de même matière. Le volume évidé se tord sur lui-même, à la verticale, pour atteindre une hauteur importante qui ne cherche pas à surpasser celle des murs. L'assise est large. On pourrait croire à un dessin de modélisation virtuelle, géométrique. C'est une construction mentale à peine matérialisée. Malgré la taille imposante de la sculpture, celle-ci n'est pas en concurrence avec le site qui l'accueille. Son ampleur est plutôt destinée à mettre en évidence le volume plus important de la salle principale. Par ailleurs, l'agencement des tasseaux entre eux — des segments — permet de relever une parenté structurelle avec un échaudage. Ainsi, les distances entre les coins des hexagones résonnent-elles avec celles qui séparent entre eux les trous de boulin.
La faille (g)
voile de protection de façade, bois Au bout de la salle principale se trouve un mur et l'encadrement ouvert d'une porte. En s'avançant, le regard est arrêté par une paroi qui succède au passage du linteau : face à l'observateur, une cloison verte se dresse. Le voile est monté sur un châssis structuré qu'on perçoit en transparence. Poursuivant, on accède à la salle attenante dont les murs nord et est sont presque totalement abattus. Le mur sud quant à lui est troué : la membrane tendue s'avère alors reprendre, comme à l'emporte-pièce, la silhouette de cette faille imposante. En retrait de la croisée des murs, la silhouette découpée de la faille est disposée orthogonalement à la faille réelle dans laquelle elle se trouve enchâssée. De là, on accède à une seconde salle en empruntant une plateforme.
Les yeux (h)
zinc, corde polypropylène Le mur est de la salle principale que l'on vient de parcourir et de quitter est aveugle sur sa face ouest. De ce côté-ci, les trous de boulin sont obturés par des formes taillées dans des plaques de zinc usées. La découpe de ces éléments reprend le motif des ex-voto destinés à la guérison des yeux (de tels objets ont été retrouvés non loin du site), c'est la raison pour laquelle ils ne permettent pas qu'on puisse regarder au travers, et ce, bien que certains trous de boulin soient à hauteur d'œil. Au centre du mur pourtant, une ouverture plus importante est toute indiquée pour s'approcher et observer. Ce guichet (appelons-le a') est en forme d'arc. De fait, il est permis de revoir visuellement répété, depuis là, l'arc d'entrée (a). Puis entre ces deux bornes ouvertes, arc et guichet, reparaît en sens inversé l'espace qu'on a parcouru pour venir jusqu'ici. La disposition intermédiaire de la "table" (c) correspond donc avec cette traversée du regard : dans sa structure, la jonction des deux arcs (a et a') préfigure notre point de vue. Au-dessus du guichet, un "ex-voto" de zinc neuf et miroitant, se singularisant au milieu de tous les autres, fait signal.
Les logements (i et i')
voile de protection de façade, bois Il y a deux petites pièces, distantes l'une de l'autre et collées à la façade sud du bâtiment dont on vient de parcourir tout l'intérieur. La première comporte deux ouvertures, à l’est et à l’ouest. L'autre est considérablement éboulée mais ne comporte pas d'entrée. S'agissant de l'expérience physique des lieux, le premier « logement » (i) est donc pénétrable par ses ouvertures, tandis que le second (i') reste clos, excluant. Des châssis couverts de voile de ravalement sont superposés en quinconce et composent des surfaces appliquées contre l'intérieur des murs de chacun des deux « logements » : les murs incomplets sont artificiellement prolongés à la verticale. Puisque la matière des rajouts se laisse traverser des regards, on peut voir de l'intérieur comme depuis l'extérieur que les deux volumes sont à ciel ouvert, à l'instar de tous les vestiges. L'intervention toutefois légère signale un volume hypothétiquement équivalent pour les deux pièces, porté, de loin, à l'échelle du paysage. Les « logements » sont observables depuis la route qui mène au site, comme des repères évidents.
Les panières (j)
béton armé, concassé de porphyre La ligne des « panières » s'étire d'ouest en est jusqu'à s'échapper de la clôture du site. Disposés à écarts constants, les treize volumes ajourés et parallélépipédiques séparent le terrain en deux aires à peu près équivalentes. Cet alignement répète tout d'abord la scansion des treize découpes de fenêtres au sommet de la façade du bâtiment principal. L'observateur est invité à traverser de part en part cette démarcation au milieu du site. Sur la portion sud qu'elle oppose au bâtiment principal, se trouvent deux autres bâtiments arasés (emplacements de k et k') distincts et distants entre eux. En fait, la séparation du terrain en deux ensembles permet de souligner les distances entre tous les vestiges, puis ensuite d'inscrire leur participation à une géographie contemporaine plus étendue : au sud, face au site clôturé et parallèlement tant au bâtiment principal qu'à la ligne des panières se trouvent une route, puis une voie ferrée. Ce dernier détail justifie l'introduction d'un agencement de porphyre concassé au milieu des panières, ces pierres étant utilisées comme ballast sous les rails. Le jeu des dimensions passe ici de l'échelle de l'architecture à celle du paysage : les « panières », par leur alignement mimétique, sont le moyen terme d'un échange entre les fenêtres romaines et la voie ferrée moderne.
La seconde table (k)
béton armé, voile de protection de façade Après avoir passé la démarcation des « panières » (j), le terrain en pente mène au sud-est à un bâtiment arasé dont une partie des fondations est enfouie sous l'enrobé de la Départementale. On ne connait pas à ce jour la destination fonctionnelle qui était la sienne. Une sculpture à l'apparence de mobilier est posée là pour faire écho à une dimension d'usage. La sculpture, composée à partir de grilles de béton armé et de voile de ravalement de façade, est un moyen terme entre les structures des « panières » (j) et les « logements » (i et i'). De par ses longueur et largeur, elle renvoie encore à la « table » (c) et poursuit ainsi un jeu de correspondances entre les travaux sur le site. Le voile est tendu comme un plateau de table, mais il permet seulement une projection au sol de son plan horizontal à partir de la lumière solaire, par transparence.
La Boite (k')
béton armé Toujours au sud de la parcelle, plus à l'ouest, d'autres fondations apparaissent, selon un plan presque carré. C'est une figure géométrique fermée tracée au sol. À l'intérieur est reléguée une sculpture en béton de taille modeste qu'on aborde à distance. C'est un volume opaque composé de plaques enchâssées les unes dans les autres jusqu'à former un parallélépipède qui se termine à sa face supérieure par une dalle horizontale, posée. La surface en est lisse, d'aspect poli et présente l'apparence discrète d'une empreinte de rangs de pierres, tels qu'on en voit dans la composition des murs gallo-romains. Le volume clos sur lui-même contraste avec le bâtiment qui l'accueille, détruit, dont on ne connaît que le pourtour dessiné au sol. Un rapport formel s'établit entre cette sculpture isolée et les volumes parallélépipédiques des « logements » (i et i'). Par ailleurs, cette dalle qui s'affronte au ciel renvoie à celle (e) située au départ de la grande salle du bâtiment principal, comme pour boucler la visite.
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